Foisonnants et habités par une esthétique technologique / biopunk, les environnements et les sculptures de Titouan Makeeff installent immanquablement dans l'espace une atmosphère étrange au sein de laquelle des histoires semblent pulluler. Ses œuvres composites s'élaborent à partir de collectes et de recompositions d'objets ou d'images. Elles s'interconnectent pour déployer un réseau de récits possibles. Dans son processus de création, l'artiste s'attache aux signes de son quotidien et aux objets qui le relient au monde et qu'il transforme. Talisman, artefact chamanique... Il agence un univers dans lequel la magie et le rituel peuvent advenir pour s'opposer à la trivialité du réel. Deneb-Vega-Tarazed (du nom des trois étoiles illuminant le ciel du 7 aout 2024) est une « interprétation sensible » d'une expérience de connexion fugace, quand, assis sur un banc par une nuit d'été, et écoutant de la musique, l'artiste s'est retrouvé presque malgré lui à observer les étoiles. Composée de Fables, « agencement de matériaux ayant traversé différentes expérimentations », et de Logs, petits écrans qui accueillent des textes descriptifs, l'installation propose ce que l'artiste nomme « une réflexion sur la causalité », relecture personnelle et intuitive d'un événement paradoxalement banal et fantastique.
© Guillaume Mansart



« L'espace, la ville sont le jouet du politicien, puis de l'urbaniste et de l'architecte, mais en aucun cas de l'usager. On dispose des bancs et le public doit se charger de les essayer. Le citoyen n'est qu'un utilisateur d'espace prévu à son insu. »1

Dans la nuit du 7 août 2024, j’observais les étoiles assis sur un banc, du moins au début. J’avais dans mon sac noir à bandoulière quelques bières et une enceinte. Une petite enceinte comme un talisman. La porte-harmonie, la garde du coeur. Je m’étais résigné à assister aux pluies d’étoiles filantes avant l’heure car les nuits aux probabilités les plus fortes s’avéraient être quelques jours plus tard. Les bancs de l’Antiquité se rapprochaient de ce que l’on a nommé des exèdres, ce sont de petites assises accolées aux murs qui permettent un moment de discussion à couvert. Là, j’étais seul. Je n’étais pas dans un bâtiment. Je n’étais pas assis sur ce que l’on caractérisa dans les années 60 de “mobilier urbain”. J’étais sur mon exèdre nocturne, je n’avais pas quelqu'un à qui faire des messes basses. Un jour, une connaissance m’a parlé de son amour pour la notion d’épiphanie, je crois que cette nuit-là en fut une. Dans la nuit et sous la timide voie lactée, humble nuage de mondes, mes pas crissaient sur le terre-plein de sable qui s’avançait sur le Lac. À la lueur de la torche de mon téléphone, l’arbre, puis la poubelle, le panneau et le Banc se dévoilaient en des points clés de l’endroit. Balises. Le banc fût choisi, le sac déposé, l’enceinte-oracle activée et la playlist lancée. Pensées boréales, son nom. C’est dans la solitude que l’on commence à parler aux choses, à penser en interaction avec tout autre possible. Pas seulement le parlant, le bruyant et l’animé. Alors, je commençais à observer, patient. Se dire que l’on est en vacances, que nous sommes pour un temps vacant.es de notre quête quotidienne, aide un peu aussi. Mise à jour de læ joueur.euse, repassez plus tard. Puis une, deux traînées de lumière qui passent. Celles-là, je les ai vues. Je me mets à remercier tout bas quelque chose d’inqualifiable. De fines traînées, agiles, Furtives. Je crois que c’est un peu après, quand le compte arrivait à dix, que l’épiphanie s’est déclenchée. Elle n’est pas aussi directe que l’on pourrait la définir, elle est douce. Elle monte tendrement dans la tête, elle serre le coeur, fait frissonner la peau peu à peu. Elle accorde un retrait hors du masque, elle susurre quelque chose d’enivrant.
Sur le Banc, parfois à côté, dansant debout la solitude et clamant mon amour pour elles. Les lueurs qui brillent au loin et nous apportent par moment des fragments de leurs histoires, dansent aussi.

1 - Schnebelin B., cité par Boulanger A., 2001-2002 in Les arts de la rue, demain. Enjeux
et perspectives d’un nouvel art de ville, p. 36.

texte dans l'installation © Titouan Makeeff

Vidéos présentes dans l'installation :
Vues d'installation : 
© Titouan Makeeff, Louise & Jean-Claude Lett, 2025